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Du Master au CAP Cuisine : La Nouvelle Tendance des Bac+5 Vers la Gastronomie

Pourquoi tant de personnes avec une maîtrise choisissent-elles de passer leur CAP en cuisine ?

Depuis plusieurs années, on observe une augmentation du nombre d'étudiants en master et de jeunes professionnels qui décident de reprendre leurs études pour obtenir un diplôme de chef cuisinier ou pâtissier. Cette tendance s'est même étendue à certains prestigieux établissements d'enseignement, stimulée par les « success stories » d'entrepreneurs dans le domaine de la gastronomie. Ajouter cette qualification à leur CV peut paraître attrayant, mais cela mène rarement à une réorientation professionnelle complète.

Par Daisy Durand

La salle de spectacle du Grand Rex, située dans le deuxième arrondissement de Paris, est en effervescence ce 12 septembre, avec de la musique, des applaudissements et des discours impressionnants. Une cérémonie de remise de diplômes y a lieu. Augustin, 23 ans, affiche un large sourire et exprime sa fierté d'être présent. Julie, 22 ans, voit cela comme l'aboutissement de ses efforts. Augustin étudie à HEC, tandis que Julie est à Centrale Lille. Cependant, ils ne sont pas là pour recevoir leur diplôme de master des grandes écoles, mais plutôt pour recevoir leur CAP (certificat d'aptitude professionnelle) – en pâtisserie pour Augustin et en cuisine pour Julie.

Pendant douze mois, ils se sont entraînés à préparer des desserts et des plats de viande en sauce, tout en maîtrisant l'art de couper les légumes. En complément de leurs études, ils ont suivi les cours en ligne proposés par l'Atelier des Chefs, une compagnie française qui forme à plusieurs diplômes de CAP. C'est cette même entreprise qui a mis en place la cérémonie de remise des diplômes.

Une réduction de 50% sur le CAP pour les élèves

Depuis un certain temps, un groupe d'élèves se lance dans la cuisine grâce à leurs cours en ligne. Suite à un pic d'inscription de 291 personnes en 2020, dû à la pandémie de covid, chaque année, entre 150 et 250 élèves suivent désormais ces cours en ligne pour passer l'examen en tant que candidat libre. 83% d'entre eux sont en cuisine, 13% en pâtisserie et 2% en boulangerie.

Cette tendance a commencé à se manifester dans certaines écoles de commerce et d’ingénierie, principalement grâce à une collaboration informelle initiée par Nicolas Bergerault, le créateur de l’Atelier des Chefs. Le partenariat a débuté avec HEC en 2018, une école dont le directeur est un ancien étudiant diplômé en 1990. Aujourd’hui, ce sont les étudiants de Polytechnique, l'emlyon, Audencia, l'Ieseg, l'ESCP, l'Edhec, Centrale Supélec, et Centrale Lille qui profitent du tarif réduit de 690 euros au lieu de 1.990. Il y a des étudiants qui agissent comme ambassadeurs de l'entreprise dans chaque école, et leur rôle est de recruter des apprentis cuisiniers. Pour chaque nouveau recrutement, ils reçoivent une rémunération de 42 euros.

Les élèves s'exercent à la maison, généralement lorsqu'ils sont chez leurs parents pendant le week-end. "Je conviais des potes pour le repas du soir, et nous partagions les dépenses liées aux ingrédients", explique Raphaëlle Bergot, qui a obtenu son certificat d'aptitude professionnelle en neuf mois tout en poursuivant ses études commerciales à l'Essec.

L'impact "Big Mamma"

"En effet, on remarque un attrait grandissant pour le domaine de la restauration parmi nos étudiants", affirme Amar Taki, responsable de l'innovation pédagogique à HEC. "Et nous sommes là pour satisfaire cette soif de connaissance." Certaines institutions ont d'ailleurs décidé que la préparation pour cet examen pourrait être un choix optionnel au cours de leurs études. "À Centrale Lille, le CAP peut être considéré comme un 'challenge personnel', nécessaire pour réussir notre première année", déclare Julia.

Amar Taki évoque ici un "effet Big Mamma", en référence à cette firme de restaurants italiens, lancée en 2015 par deux anciens élèves d'HEC, Victor Lugger et Tigrane Seydoux, qui est aujourd'hui évaluée à 270 millions d'euros. On peut également mentionner les créateurs de la marque de nourriture Michel & Augustin, initiée en 2004, dont le succès est devenu un 'exemple à suivre' enseigné dans les programmes de marketing.

Ces "histoires de réussite" ont stimulé l'émergence d'une multitude de nouvelles entreprises dans le secteur de l'alimentation : des boulangeries parisiennes comme Mamiche, The French Bastard, Tranchés, et des restaurants comme Delhi Bazaar, entre autres. Chaque paire ou groupe de trois fondateurs compte généralement au moins une personne ayant un diplôme de niveau Bac+5, qui possède également un certificat de compétence en cuisine, pâtisserie ou boulangerie. Les perspectives économiques pour ces personnes ayant deux diplômes sont abondantes, et les écoles qui les accueillent ne manquent pas de saisir cette tendance.

Lorsque je dialogue avec des propriétaires de restaurants, l'utilisation des termes comme 'julienne' ou 'dépecer un filet' me facilite grandement la tâche ! C'est Nicolas Bergerault, le co-fondateur de l'Atelier des Chefs, qui le dit.

Est-ce que posséder cette combinaison de compétences est désormais un critère essentiel pour travailler dans ce domaine ? Pour certains, ce certificat professionnel agit comme un gage de crédibilité. "Je me sens maintenant qualifié", déclare Augustin qui aspire à une carrière dans la gastronomie, mais sans vouloir être pâtissier. Les expériences de stages qu'il a acquises lors de sa formation professionnelle lui ont révélé l'aspect routinier du métier. "Sans cela, j'aurais gardé toute ma vie une image romantique de la profession". Cependant, il compte sur son certificat professionnel pour se distinguer lors des entretiens d'embauche : il espère rejoindre le fonds d'investissement "FrenchFood Capital", spécialisé dans le secteur de l'alimentation.

Même si quelques-uns commenceront par gérer eux-mêmes leur première entreprise, l'idée est de la faire grandir rapidement. C'est ce que prévoit Raphaëlle Bergot (diplômée d'Essec et titulaire d'un CAP cuisine), ayant lancé son entreprise de traiteur à domicile cette année. Actuellement, elle prépare elle-même des repas pour des clients individuels et des entreprises. Son objectif est de faire de son entreprise une grande société, affirme la jeune diplômée de 26 ans. Elle envisage un projet de restauration haut de gamme, similaire à Cojean – une chaîne de restauration rapide de luxe – avec des services de traiteur.

Pour gérer un établissement dans le secteur de la restauration, il est préférable d'être familier avec ce domaine, insiste Nicolas Bergerault. "Lorsque je parle avec des propriétaires de restaurants, l'utilisation de termes spécifiques comme 'julienne' ou 'lever un filet' est très utile !".

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Michel & Augustin ont encouragé tous leurs employés à obtenir un diplôme en pâtisserie afin de créer un langage commun au sein de leur entreprise. Au total, 139 personnes ont bénéficié de cette formation. Bien que ce nombre soit relativement petit, il a probablement contribué à forger l'image d'une marque 'cool' qui offre des chances passionnantes à ses employés.

En faisant cela, elle a contribué à rendre le diplôme plus accessible, désormais vu par certains titulaires de master comme un défi à relever pendant leur temps libre. La société a édité un ouvrage pour guider ceux qui se préparent à passer l'examen en tant que candidat libre, et a réussi à en vendre 72.000 depuis sa parution en 2016. Nicolas Bergerault de l'Atelier des Chefs profite également de cet engouement. "Je ne fais pas vraiment d'argent avec l'offre pour les étudiants", admet le chef d'entreprise. Ces derniers ne représentent qu'une fraction minuscule des 5.000 personnes qui s'inscrivent chaque année à tous les CAP de l'entreprise, mais ce phénomène étudiant "alimente le buzz autour des CAP, ça rend les métiers manuels plus attractifs", souligne-t-il.

Se distinguer en public

Nombreux sont les cuisiniers en herbe qui n'utiliseront cette ligne supplémentaire sur leur CV que pour se distinguer en public et préparer de bons plats. Mais ce n'est pas tout. « C'est un avantage dans ma profession. Lorsque je me présente, c'est un sujet qui favorise rapidement la connexion », déclare Romain Médina, manager senior dans un cabinet de conseil. Il a obtenu son CAP en tant que candidat indépendant « pour le plaisir, pour pratiquer une activité tangible », en suivant le livre de préparation de Michel & Augustin.

Comme lui, "un travailleur de moins de 35 ans sur deux est séduit par les professions manuelles et l'artisanat", révèle une enquête menée par OpinionWay pour l'Atelier des Chefs, publiée le 12 septembre 2023. "Aujourd'hui, au quartier général de Michel et Augustin, les emplois sont principalement administratifs et tournent autour des ventes, des chiffres et des événements. Cependant, avec un CAP, nous réalisons des tâches plus pratiques, avec nos propres mains. C'est source de fierté et évoque des souvenirs d'enfance", explique Cécile Le Roy, responsable du projet Aventure chez Michel & Augustin, dont le rôle principal est de mettre en place des événements et des campagnes de communication.

Dans ce lieu, tout comme à l'Atelier des Chefs, on mise également sur la propagation de cette tendance au sein des entreprises pour renforcer l'esprit d'équipe. En 2023, "Carrefour a inscrit 88 de ses employés à notre cours de préparation au CAP cuisine, Capgemini en a inscrit 28 et Auchan 22", explique Nicolas Bergerault. Doit-on en déduire que la capacité à réaliser une pâte feuilletée sera bientôt un critère de recrutement dans une entreprise de conseil ? Affaire à suivre.

Blossom Bouron

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