Artgenève : controverses et découvertes exceptionnelles de la petite exposition suisse
Malgré les défis, l'exposition de Genève persiste et offre des œuvres de qualité à des prix raisonnables. Une occasion incontournable pour les amateurs d'art contemporain.
Par Judith Benhamou
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Au cours des onze dernières années, la foire Artgenève a progressivement pris de l'ampleur pour devenir un événement incontournable dans le monde de l'art contemporain, notamment pour la ville internationale reconnue pour son port franc entre autres. Sous la direction de Thomas Hug, elle a réussi à se faire une place, à la fin de janvier, dans l'agenda très chargé du marché mondial de l'art contemporain. Elle a su se faire remarquer, avec son caractère modeste et efficace, dans cette région très aisée de la Suisse.
Les œuvres proposées ne se chiffrent pas en millions d'euros, mais ont plutôt un coût moyen aux alentours de 50 000 euros. Le succès rencontré a été si grand qu'elle a donné naissance à une version plus petite, Art Monaco, qui se déroule à la mi-juillet dans la principauté. En juillet 2023, Thomas Hug a été révoqué de ses responsabilités, bien que la raison de cette décision reste inconnue (voir détails ci-dessous).
Artgenève, une foire d'art, ouvre ses portes du 25 au 28 janvier dans une atmosphère quelque peu troublée. Pour cette édition, la direction est assurée par Charlotte Diwan, ancienne en charge des partenariats de l'événement. La situation pourrait être décrite en citant Tancrède alias Le Guépard, du roman et du film du même nom: "Tout doit changer pour que rien ne change".
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La récente directrice précise : « Je ne prévois pas de modifications majeures. Je ne m'exprime pas sur les sujets concernant la plainte pénale contre Thomas Hugh. Ce qui compte pour moi, c'est la qualité des participants à Artgenève. Les galeries influentes utilisent cette exposition pour présenter une sélection de leurs œuvres à des tarifs plutôt abordables. Il s'agit d'œuvres qui ne sont généralement pas exposées dans les grandes foires ».
Hésitation et préoccupation
De manière générale, pour cette 12e session, plusieurs galeristes rapportent avoir remarqué une diminution notable de leur activité au cours des derniers mois, une lenteur des transactions, une hésitation de la part de leurs clients et une atmosphère globale de préoccupation due à la situation économique, géopolitique et sociale à l'échelle mondiale.
De manière surprenante, l'apport des 80 participants d'Artgenève est satisfaisant.
La pièce la plus impressionnante de l'exposition, située dans une zone dédiée aux œuvres de grande taille, dont le conservateur est le célèbre critique d'art de Genève, Nicolas Trembley, est une sculpture de l'artiste portugaise Joana Vasconcelos (née en 1971). Ressemblant à une pieuvre monumentale, elle l'a baptisée "Valkyrie Mumbet". La sculpture est ornée de garnitures, de broderies et de travaux de crochet luxuriants provenant des anciennes colonies portugaises, et s'étend sur 16 mètres de large, présentée par la galerie genevoise Gowen (proposée à la vente pour 1,5 million d'euros).
L'artiste explique que son œuvre rend hommage à Elisabeth Mumbet, la première femme à obtenir sa liberté aux États-Unis en 1781. Cette création a été dévoilée en 2020 lors de l'ouverture du Mass Art Museum à Boston.
Si vous êtes fasciné par des expositions époustouflantes, ne manquez pas de visiter le musée d'art et d'histoire de Genève. Vous y découvrirez l'œuvre de l'artiste belge Wim Delvoye, né en 1965, qui a apporté sa propre touche unique et provocante aux collections du musée. Il a utilisé diverses techniques comme la copie, le perçage, la découpe et a intégré des parcours intelligents de billes dans ses œuvres. Bien qu'il ait été une figure majeure sur le marché de l'art dans les années 1990-2000, il s'est depuis fait plus discret. À Artgenève, Perrotin présente une de ses sculptures – un nu en bronze doré transformé en anamorphose – disponible à l'achat pour 220 000 euros.
L'exposition de Genève est un lieu clé pour découvrir les dernières créations d'artistes célèbres. Par exemple, l'éditeur français Cahiers d'art y présente une œuvre de l'artiste renommé, Philippe Parreno (né en 1964). En 2023, il a conçu une sculpture représentant un authentique bonhomme de neige, qui fond inéluctablement sur le stand de Cahiers d'art. En réalité, la galerie offre un moule, un support et des directives pour reproduire sans fin cette sculpture conceptuelle qui rappelle une vanité moderne (à acheter pour 40 000 euros en une édition limitée de 10 exemplaires).
Une photographie de la nouvelle collection de la renommée artiste américaine, Cindy Sherman (née en 1954), est exposée sur le stand de Hauser & Wirth. Cette oeuvre a été créée en utilisant l'intelligence artificielle. Comme à son habitude, il s'agit d'un autoportrait, affichant une allure grotesque, en noir et blanc. Cette oeuvre est disponible à la vente pour 150 000 dollars et est limitée à une édition de 6.
Au coeur de la vieille Genève se trouve le musée privé Barbier-Mueller, renommé pour ses impressionnantes collections d'art primitif. Jusqu'au 14 avril, ce musée organise une exposition qui crée une conversation entre ces sculptures et l'oeuvre de Miquel Barcelo, un peintre espagnol qui réside à Paris (né en 1957). Barcelo a récemment écrit une autobiographie intitulée « De la vida mia » (publiée par Mercure de France) qui dévoile son intimité et ses sources d'inspiration à travers des anecdotes amusantes, par exemple : « Mon père et moi échangions peu de mots. Il était un homme de peu de mots. Il ressemblait vraiment à Frankenstein ». La galerie Ropac présente une de ses toiles exceptionnelles, une nature morte de 2021, avec un contraste frappant entre le blanc et le rouge foncé, et une texture épaisse comme c'est souvent le cas dans son travail. Cette oeuvre est en vente pour 450 000 euros.
Les créations tissées de Zhenya Machevna
L'attraction remarquable de l'exposition est la multitude d'espaces réservés aux « spectacles solo ». L'un d'eux, proposé par la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois de Paris, est consacré à l'artiste russe Zhenya Machevna (née en 1988).
Lorsque le conflit a éclaté entre la Russie et l'Ukraine, elle a choisi de déménager en France. Bien qu'elle soit dessinatrice, la plupart de ses œuvres sont des tapisseries qu'elle confectionne elle-même. Sur ces dernières, elle a créé des représentations industrielles, jouant avec les formes géométriques et les différences de teintes, représentant des usines abandonnées, similaire à celles qui ont influencé les photographes allemands Bernd et Hilla Becher depuis la fin des années 50. Les œuvres de Zhenya ont été présentées lors de la Biennale de Venise en 2022. Ses tapisseries sont disponibles à l'achat pour un prix compris entre 8000 et 50000 euros.
Chico da Silva voit sa cote augmenter
Vincent Matthu, un conseiller en art, possède une galerie d'art nommée Ars Belga à Bruxelles. Lors de l'exposition de Genève, il a également consacré une exposition individuelle à un peintre brésilien captivant, Chico da Silva (1910-1985). Ses peintures sont disponibles à l'achat pour 50 000 dollars. Ses œuvres, qui dépeignent une multitude de motifs formant des animaux dans un environnement naturel luxuriant, sont caractéristiques de l'art brut.
Cet autoproclamé artiste de l'Amazonie a connu un succès impressionnant au cours de sa vie. En 1967, il a représenté le Brésil lors de la Biennale de Venise. Cependant, le déclin de sa vie a été tragique et ses dernières oeuvres ont reçu moins d'éloges. Ses créations, principalement sur papier, varient en qualité, en fonction de son degré d'implication dans son atelier. Le marché reflète cela. Da Silva a été mis en avant lors d'une exposition à la Pinacothèque de Sao Paulo qui s'est terminée en octobre 2023, et récemment, la populaire Galerie Kordansky de New York et Los Angeles l'a également présenté.
L'augmentation récente de ses prix est due à son apparition soudaine dans l'actualité. D'après Vincent Mattu, les prix ont doublé au cours des deux dernières années. Le 14 novembre 2023, une de ses grandes gouaches de 1966 a été vendue à New York par Sotheby's pour un prix record de 303 000 euros.
En dépit d'un environnement incertain, l'industrie artistique persiste à valoriser les travaux remarquables des artistes les plus recherchés.
Le départ de Thomas Hugh
Le 18 janvier 2024, Bilan, une publication économique suisse qui paraît deux fois par mois, a révélé que l'ex-chef d'Artgenève était sous le coup d'une accusation pour fraude, mauvaise gestion et vol.
En parallèle, il a été révélé que Thomas Hugh avait fondé Gstaad Art Salon, une exposition située dans une station de ski haut de gamme. D'après des informations du secteur, elle accueillera 20 participants, parmi lesquels quelques figures de proue comme le français Perrotin, la galerie britannique White cube ou encore la mexicaine Kurimanzutto. L'événement est prévu pour se dérouler du 16 au 18 février 2024 (1). Gstaad est devenu un carrefour significatif pour le commerce de l'art durant l'hiver. Des acteurs majeurs tels que Gagosian ou Hauser&Wirth y établissent leurs quartiers pendant cette période. Elle est également située à deux heures de route de Genève.
(1) Thomas Hugh a choisi de ne pas répondre à nos interrogations et le site web de l'exposition n'offre pas de renseignements précis.
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Judith Benhamou
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