"Ancien ingénieur, je suis désormais le meilleur au monde pour faire des frites authentiques"
RÉCIT// Aurèle Mestré, qui était auparavant ingénieur dans le secteur du bâtiment et de l'industrie, a quitté son emploi pour se consacrer à une activité qui lui paraissait plus tangible. En septembre 2022, il a lancé sa propre friterie à Lille. Un an plus tard, à l'âge de 32 ans, il a remporté le titre de champion du monde de la frite authentique. Ce titre a donné un coup de pouce à son ambition d'ouvrir de nouveaux points de vente.
Par Chloé Marriault
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Après avoir obtenu mon diplôme de master à l'Institut Supérieur d'Ingénierie de Lille en 2015, j'ai tenté ma chance dans l'industrie du sport automobile en envoyant mon curriculum vitae. Dans mon enfance, je participais à des courses de karting. Cependant, en raison d'un manque de ressources financières, je n'ai pas pu poursuivre mon rêve de devenir un pilote de course. J'espérais donc au moins décrocher un emploi lié au sport automobile, ce qui s'est avéré infructueux.
J'ai sauté sur la première occasion de rejoindre le monde du travail après l'achèvement de mon stage post-études. C'est ainsi que j'ai décroché un poste en contrat à durée indéterminée en tant que chargé de projet dans le secteur de la métallurgie pour une entreprise de taille moyenne spécialisée dans la serrurerie. À 25 ans, mon rôle était d'assister les clients, qu'ils soient des entreprises ou des entités gouvernementales, du début à la fin de leurs commandes. Mon travail impliquait la création de plans et de dessins, le calcul des structures, la vérification de la qualité, etc. Bien que le travail soit stimulant, je ne m'imaginais pas y faire carrière, surtout à cause de la lenteur des procédures liées aux marchés publics, qui étaient trop lentes pour moi.
Après avoir occupé ce rôle pendant deux ans, j'ai décidé de changer de domaine et de me lancer dans le secteur industriel. Je suis devenu responsable de projet chez Chromalox, une société qui produit des composants pour les industries pétrolière et nucléaire, basée à Soissons, dans l'Aisne. Ces secteurs sont fortement réglementés, ce qui signifie que je passe la majorité de mon temps à discuter des détails contractuels avec les clients. Cette avalanche de procédures et de paperasse me frustre car j'ai le sentiment de ne pas accomplir quelque chose de tangible.
Quitter son emploi sans un plan clair
Je ressens également que ma personnalité ne correspond pas vraiment à l'environnement corporatif. Généralement direct, je suis enclin à exprimer mes préoccupations lorsqu'un aspect ne me semble pas approprié, dans le but de favoriser le progrès du projet, de l'entreprise ou de l'équipe. Cependant, dans le milieu professionnel, j'ai l'impression que pour progresser, il est préférable de rester silencieux et de suivre le courant.
Je suis à un point dans ma carrière où je suis si insatisfait de mon travail que j'ai décidé de démissionner en décembre 2020, faute d'avoir pu négocier une rupture conventionnelle. Quand je quitte la société, je n'ai pas vraiment de stratégie future, à part l'idée de retourner m'installer à Lille, la ville où j'ai étudié après avoir passé mon enfance à Laon, dans l'Aisne.
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Rapidement, l'idée de devenir mon propre patron émerge. C'est dû à ma répugnance à rechercher un emploi, mais également à mon désir de contrôler mon propre planning, mes heures de travail et mes responsabilités, un luxe que je n'ai pas eu jusqu'ici.
Alors, dans quel domaine se lancer ? Sans une somme d'argent considérable, les options sont restreintes. Étant donné que j'aime préparer des plats et les déguster, l'idée d'ouvrir un restaurant me vient assez spontanément à l'esprit. J'ai une vague idée de ce que cela nécessite car j'ai travaillé dans une pizzeria pendant mes années lycée.
Je pense qu'il y a un manque de bistros agréables à Lille, où l'on peut déguster des plats d'un bon rapport qualité-prix. J'essaie de trouver un endroit à louer dans le vieux quartier de Lille, mais je réalise que d'un point de vue financier, cela ne sera pas viable car les loyers sont exorbitants.
Travaux sur une durée de neuf mois
Je décide de sortir de ma zone de confort et finis par explorer un local dans Wazemmes, un secteur de Lille plutôt fréquenté par les classes populaires, qui est en plein processus de gentrification. Idéalement situé à l'intersection de deux rues animées, le local profite d'une grande luminosité, offrant l'espace nécessaire pour aménager une trentaine de sièges, cependant, la cuisine est plutôt restreinte. Il n'est donc pas envisageable de préparer des plats qui demandent beaucoup de temps. Une idée me vient alors : "Pourquoi ne pas lancer une friterie ?" Après tout, cela ne requiert pas beaucoup d'espace dans la cuisine.
J'assemble mes fonds économisés et sollicite des amis pour me donner de l'argent afin d'augmenter ma contribution financière. Ensuite, j'obtiens un prêt de 100 000 euros d'une banque pour financer l'équipement et les travaux, que je m'occupe personnellement de réaliser.
J'ai signé le contrat de location en décembre 2021. Quelques-uns de mes proches sont confus : pourquoi ai-je abandonné la sécurité d'un contrat à durée indéterminée, un travail bien payé, pour démarrer une entreprise risquée qui pourrait éventuellement échouer ? Je ne prête pas attention à ces commentaires.
En même temps que je travaille, je m'instruis de ce qui réussit chez d'autres restaurateurs, je pense également à ce qui ne fonctionne pas, j'essaie différentes recettes…
Suite à neuf mois de rénovations – initialement prévues pour trois mois seulement -, ma friterie à mon nom ouvre enfin ses portes en septembre 2022. Les débuts sont difficiles… Les plats prennent beaucoup de temps à être préparés, certains ne sont pas à la hauteur… On peut dire que c'est un véritable chaos ! Je n'ai même pas eu l'opportunité de faire des essais avec les friteuses avant l'ouverture à cause d'un souci de connexion au gaz.
Heureusement, j'attrape rapidement le rythme et après deux semaines, les choses commencent à bien se passer. Au menu, il y a des frites, bien entendu, cuites deux fois : d'abord dans de l'huile de tournesol, puis dans de la graisse de bœuf, pour obtenir des frites qui sont croustillantes à l'extérieur et moelleuses à l'intérieur, et assez légères. Le tout est préparé à partir de pommes de terre qui sont cultivées à une distance d'environ vingt kilomètres de Lille. Le menu comprend également des filets de poulet (élevés localement) panés, des croquettes faites maison, des saucisses d'un producteur local… Et des plats qui varient en fonction des saisons, préparés à partir de nos produits vedettes. Les options sont limitées, car tout est frais et fait maison.
Cinq employés
Depuis l'ouverture de mon restaurant, ma vie a changé du tout au tout. Je suis occupé presque tous les jours. Même lors de mes jours de fermeture, le dimanche soir et le lundi, je dois renouveler les stocks, prendre en charge les factures… c'est la routine et je n'en suis pas mécontent ! Je suis conscient qu'au fur et à mesure que l'entreprise grandira, je pourrais confier certaines tâches et avoir plus de temps libre.
Actuellement, je me paie un salaire qui est suffisant pour subvenir à mes besoins de vie. J'estime qu'il est préférable que l'entreprise se renforce et se développe. À présent, j'ai cinq employés à mes côtés, qui ne travaillent pas tous à plein temps, répartis entre la caisse et la cuisine. Le processus de recrutement est en effet l'aspect le plus complexe de mon travail. Il est ardu de dénicher les CV appropriés, et encore plus de les attirer. Par le passé, j'ai offert un contrat à un postulant qui, sans donner de nouvelles, n'a jamais commencé à travailler le jour où il devait commencer.
Lancer de nouvelles institutions
Peu de temps après mon lancement, les organisateurs du tournoi mondial de frites m'ont approché via Instagram, m'invitant à participer à la toute première édition, prévue pour octobre 2023 à Arras, dans la région du Pas-de-Calais. Il s'agit d'une manifestation d'une journée où 31 concurrents se battent dans quatre catégories différentes.
J'ai donné mon accord et contribué en préparant le même plat que celui que je sers dans mon établissement… Et j'ai remporté le concours dans la catégorie "frite originale", en compétition avec sept autres experts en restauration. C'est une magnifique reconnaissance !
Consulter ce post sur Instagram, un post partagé par Friterie Mestré (@friteriemestre)
Un post diffusé par Friterie Mestré (@friteriemestre)
Depuis lors, l'agitation est à son comble. La friterie était déjà populaire, mais maintenant, certains attendent plus d'une heure pour savourer nos frites. C'est tellement intense que nous avons du mal à satisfaire tout le monde… Lors de certains repas, nous servons deux fois plus de clients qu'auparavant.
Ce triomphe donne un élan à mes plans. Mon objectif : inaugurer de nouveaux magasins dans la région de Lille dans les prochaines années et à long terme, envisager de créer une franchise, une pensée que je nourrissais dès le début. Cette récompense me confère de la légitimité et devrait faciliter ma capacité à contracter de nouveaux prêts.
Ce qui me comble le plus dans mon parcours entrepreneurial ? Parvenir à bâtir quelque chose de tangible et à satisfaire les gens avec ce que nous leur proposons. La plus grande récompense est peut-être lorsque les clients affirment que le titre de 'Champion du monde' est justifié.
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Interview réalisée par Chloé Marriault
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